Pharmacie en pleine mutation : une croissance explosive du chiffre d’affaires face à des marges en déclin
Le chiffre d’affaires du secteur de la pharmacie a explosé ces dernières années. Et, pour autant, les officines demeurent plus que jamais en quête de marge. Observateur privilégié de ce marché, David Syr, directeur exécutif de Cegedim Pharma, revient pour nous sur cette situation paradoxale : la pharmacien en pleine révolution.
La pharmacie en pleine révolution : des chiffres prometteurs mais des marges fragiles
Les chiffres peuvent parfois être trompeurs. Ou, tout du moins, ils peuvent délivrer des messages relativement contradictoires. Ainsi, si l’on se contente d’observer le chiffre d’affaires du secteur de la pharmacie et sa croissance depuis 2020, on pourrait être enclins à sortir le champagne. Alors qu’il avait été stable pendant des années et qu’il se situait, il y a quatre ans encore, autour des 36 milliards d’euros, le chiffre d’affaires est passé aujourd’hui à près de 46 milliards d’euros ! Une croissance à deux chiffres (+27%) en si peu de temps a de quoi faire rêver. Mais, car il y a évidemment un mais, cette progression fulgurante ne concerne malheureusement que le chiffre d’affaires car « la marge ne suit pas, explique David Syr, directeur exécutif de Cegedim Pharma. Bien que le chiffre d’affaires du secteur ait gagné 10 milliards d’euros en quatre ans, la situation reste difficile pour certaines pharmacies.
Pour comprendre ces faits étonnants, il convient de détailler les lignes comptables. La plus forte contribution au chiffre d’affaires de l’officine reste portée par les médicaments, dont les plus onéreux d’entre eux. Ainsi, alors qu’ils ne représentent que 0.08% des médicaments remboursés vendus en officine, les médicaments dont le prix fabricant hors taxes dépasse 1 930 euros pèsent pour plus de 23% du chiffre d’affaires de cette catégorie. Viennent ensuite hors médicaments les dispositifs médicaux, les produits cosmétiques et les compléments alimentaires.
Taux de marge en baisse
Le taux de marge brute globale de l’officine a diminué. Quand un pharmacien rencontre son expert-comptable, celui-ci peut le féliciter pour la hausse de son chiffre d’affaires mais il s’inquiétera, en même temps, de voir son taux de marge se réduire sur l’ensemble des produits vendus, quelque soit leur taux de TVA.
Le taux de marge des produits soumis à la TVA à 2,1% baisse du fait des médicaments chers, celui des produits taxés à 5.5% également car les pharmaciens les achètent plus cher sans pouvoir répercuter sur le prix de vente. La logique se poursuit avec les produits concernés par la TVA à 20%.
« Alors évidemment, tout cela complique la lecture des chiffres comptables et, surtout, cela oblige à penser différemment, précise David Syr. Désormais, il ne suffit plus de réfléchir par taux de TVA mais il devient nécessaire de regarder par catégories de produits. Il faut accepter de sortir de sa zone de confort et aborder son activité autrement. Il convient encore, et surtout, de maximiser son rôle de professionnel de santé tout en s’assurant que son entreprise reste viable et profitable ».
Un accompagnement indispensable
Et la première des choses à faire pour y parvenir, selon le directeur exécutif de Cegedim Pharma, c’est d’accepter que l’on ne puisse pas tout faire seul. « Le pharmacien qui croit encore qu’il peut gérer en solitaire la hausse des prix, les nouvelles missions, la RH, les relais de croissance et son implantation, va droit dans le mur. Il doit se faire accompagner par son grossiste, son groupement et les partenaires de son groupement. C’est en se faisant aider qu’il parviendra à trouver la balance entre le jaune et le bleu qui font le vert de l’officine. Entre ses missions de pharmacien, de professionnel de santé, qui aspirent et inspirent les nouveaux entrants tout en gratifiant les officinaux déjà installés, et son entreprise pharmaceutique qu’il doit gérer correctement et rendre profitable ».
Une véritable révolution
David Syr est persuadé que la pharmacie vit davantage qu’une simple évolution de son métier. « En réalité, elle connaît une véritable révolution ! Et comme toute révolution, elle est brutale. Alors même si tout le monde rêve que les choses ne changent que pour les autres, il est évident que la pharmacie de demain ne sera plus gérée comme elle l’était hier ».
Il va notamment falloir sous-traiter tout ce qui ne crée pas de la valeur ajoutée, comme les achats par exemple. « Si vous consacrez deux heures aux achats pour gagner quelques dizaines d’euros, est-ce vraiment rentable ? Mieux vaut le déléguer aux groupements. Il en va de même pour le back-office qui peut très bien être sous-traité par le répartiteur. Il faut accepter de lâcher prise sur certains pans de l’activité car le temps qui y est alloué crée plus de dépenses que de retours sur investissement ».
De la demande à l’offre
Pour David Syr, le pharmacien doit encore se poser une autre question : comment aller chercher l’offre ? « Aujourd’hui, la pharmacie sait réagir à la demande. Dès que celle-ci apparaît, elle s’organise pour y répondre. C’est très bien, mais le défi de demain consistera à pousser l’offre. Comment faire en sorte que le patient qui entre dans la pharmacie pour une prise en charge de sa santé se laisse tenter par une expérience consommatoire ? Comment aller chercher, au gré des interrogations, le rappel vaccinal qu’il n’aurait pas fait sans cet appel du pied ? Il faut absolument travailler l’offre, solliciter des questions sans se contenter de répondre à celles des patients ».
Si la situation actuelle du secteur de la pharmacie pose encore de nombreuses questions, il n’en demeure pas moins que les perspectives sont des plus claires. « La pharmacie est dynamique, soutient David Syr. La conduite du changement est certes compliquée mais les solutions existent. D’autres activités ont été beaucoup plus challengées que cela et sont parvenues à dépasser les difficultés rencontrées. Je suis persuadé que la pharmacie reste maître de son destin. Elle doit simplement réagir positivement à la révolution en marche et faire sa mue. Tout l’écosystème doit se resynchroniser afin que d’une petite chenille, elle devienne papillon ».