Par Christelle Bernasconi, titulaire de la Pharmacie du marché, Viroflay (78)
Etre manager n’est pas toujours simple, notamment quand on place le bien-être de ses collaborateurs au premier rang de ses objectifs. Forte d’une expérience professionnelle variée, Christelle Bernasconi surmonte les difficultés en misant avant tout sur la transparence, la bienveillance et l’exemplarité. Autant de valeurs qui lui ont permis de créer des liens particuliers avec son équipe avec qui elle traverse la crise de la COVID.
- FICHE D’INFORMATION
- Pharmacie du marché, Viroflay (78)
- Titulaire : Christelle Bernasconi
- Effectifs : deux pharmaciens, deux préparatrices, une apprentie préparatrice
- Date d’installation : 2012
- Fréquentation : 250 clients par jour
- Surface : 140 m² dont 80 m² de surface de vente
- CA : 1,8 million d’euros
Titulaire depuis huit ans d’une pharmacie à Viroflay, vous êtes aujourd’hui à la tête d’une équipe de cinq personnes. Comment la cheffe d’entreprise que vous êtes a-t-elle appris à manager ? Vos études vous y ont-elles préparées correctement ?
Pas du tout si l’on parle de mes études de pharmacie ! Je n’ai rien appris à ce sujet au cours de mon cursus officinal. Il faut dire que ces études étaient alors fortement orientées sur les travaux pratiques. Le management ne figurait pas vraiment au programme. Par ailleurs, nous n’avions que très peu de stages obligatoires : un premier avant de rentrer en deuxième année puis un autre en fin d’étude. Heureusement, cela a changé aujourd’hui. Les étudiants participent désormais tous les ans à des stages en immersion dans l’officine. Quoiqu’il en soit, à mon époque, on nous préparait bien à devenir pharmacien mais absolument pas entrepreneur. J’ai abordé le management en suivant une autre voie en parallèle.
J’ai en effet préparé les concours pour les écoles de commerce afin de pouvoir travailler dans l’industrie ce qui m’a permis d’intégrer un troisième cycle de management à l’ESCP-EAP, devenue depuis l’ESCP Business School.
J’ai effectué un stage de six mois chez Sanofi à l’international, dans le secteur du marketing en cardiologie, avant de partir un an en Norvège, dans le cadre d’un Volontariat International en Entreprise. J’étais alors responsable des études de marché de la filiale locale de Sanofi.
De retour en France, j’ai intégré les équipes de Novartis en tant que chef de produit pour le Maghreb et l’Afrique francophone. J’ai énormément appris durant ces quelques mois, notamment à me débrouiller à faire beaucoup avec peu. Cela reste d’ailleurs l’une de mes meilleures, et des plus agréables, expériences professionnelles. J’ai pu former des commerciaux, les aider à mieux communiquer sur le terrain.
Passée au marketing, sur des produits plus matures, j’ai commencé à m’ennuyer. Il était temps pour moi de changer de voie et de revenir à mon premier amour : l’officine. Après deux années en tant qu’adjointe, j’ai cherché et trouvé ma propre officine.
Riche de ces différentes expériences, avez-vous néanmoins rencontré des difficultés managériales ?
Bien sûr ! Même si je pensais savoir manager, puisque j’avais la théorie, je me suis vite rendu compte que ce qui compte vraiment, c’est la pratique. Et la pratique, cela ne s’apprend pas en cours ni dans les livres mais bien sur le terrain. Même si j’avais commencé à le comprendre lorsque j’étais adjointe, j’ai découvert la dure réalité du management en devenant titulaire.
J’ai dû notamment faire face aux réticences d’une partie de l’équipe en place. L’une des salariés s’est montrée réfractaire au changement. Elle n’a jamais adhéré à mon projet que j’avais pourtant pris soin de présenter dans le détail. Je leur avais expliqué ce que l’on allait mettre en place et pourquoi on allait le faire. J’ai été patiente mais il m’a tout de même fallu imposer mes choix. Les règles avaient changé, il fallait l’accepter.
J’ai connu bien d’autres déboires. J’ai notamment dû faire face au vol de grosses sommes d’argent par l’une de mes employées comme, dans un tout autre registre, à un mi-temps thérapeutique. Deux situations qui sont loin d’être simples à gérer.
Quelles sont les clés d’un bon management selon vous ?
Il faut d’abord créer un cadre de travail confortable et agréable. En reprenant l’officine, j’ai tout de suite installé la climatisation par exemple. J’ai également revu la décoration. J’ai mis des couleurs afin de rendre le lieu plus accueillant, qu’il ressemble à l’idée que je me faisais d’une pharmacie. On passe beaucoup de temps sur son lieu de travail, il est donc indispensable de créer une bonne ambiance, pour soi mais aussi pour ses équipes et ses clients.
Ensuite, il faut être à l’écoute de ses équipes en multipliant les moments d’échange. Cela peut se passer autour d’un café, d’une galette des rois, peu importe tant qu’il y a partage et écoute. Le titulaire doit aussi faire preuve d’un grand sens de l’observation et toujours rester attentif aux autres.
Un autre point clé reste l’utilisation des chiffres de l’officine. Peu de titulaires communiquent autour des résultats de l’officine avec leur équipe. Personnellement, je les partage volontiers. Je laisse les détails de côté mais j’en donne les grandes lignes sans retenue. Si mon rôle en tant que titulaire consiste à piloter le bateau, il me faut expliquer le cap suivi à mon équipe et, pour cela, j’ai besoin des chiffres.
La transparence a son importance. Elle seule permet d’expliquer à ses salariés les points positifs et négatifs de l’officine, d’établir avec eux les pistes pour mieux faire et de leur démontrer pourquoi on doit faire mieux. C’est là tout le rôle du manager. On ne peut pas demander aux gens de changer de direction ou de faire des efforts sans leur en expliquer les raisons, le plus concrètement possible, avec les chiffres de l’entreprise.
Un bon manager prendra garde encore à la cohésion d’équipe, ce qui est loin d’être évident. Il suffit d’un grain de sel pour créer une mauvaise ambiance. On essaiera donc de s’assurer au préalable de bien choisir son équipe. Là encore, rien n’est simple. Les offres d’emploi étant plus nombreuses que les demandes, on ne peut que croiser les doigts lorsque l’on engage quelqu’un après un entretien d’une demi-heure et une période d’essai des plus courtes.
L’exemplarité figure également selon moi parmi les principes primordiaux du management. Je suis convaincu que le titulaire soit savoir tout faire dans l’officine et ne jamais rechigner à mettre la main à la pâte. Cela ne me gêne pas de déballer des cartons ou de sortir les poubelles quand il le faut. Certains titulaires peuvent penser qu’ils n’ont pas à s’embêter avec tout ça mais, personnellement, je trouve ça primordial au contraire. Mon exemplarité me permet en retour de demander la même chose à mon équipe qui devient ainsi des plus adaptables et flexibles qui soient.
Le métier de pharmacien n’est plus ce qu’il était avant. Si les anciennes générations, en caricaturant un peu, pouvaient se permettre d’aller jouer au golf plutôt que de venir à l’officine tout en gagnant de l’argent, ce n’est absolument plus le cas aujourd’hui. Quand on reprend une pharmacie, nous ne sommes jamais sûr de pouvoir nous payer aussitôt. J’ai dû attendre deux ans avant de dégager un revenu, à force de travail et de sacrifices. Cet exemple là aussi compte aux yeux des salariés.
Exemplaire, le titulaire s’avère également responsable de son équipe. Il doit en prendre soin. Personnellement, j’ai toujours tenu à organiser des événements conviviaux comme des restaurants d’équipe.
Par ailleurs, je n’hésite jamais à faire montre d’attentions en souhaitant les anniversaires ou en offrant de petits cadeaux de temps en temps. Cela ne représente pas un effort pour moi. Je suis convaincue qu’on ne peut pas faire notre métier sans aimer les gens, sans leur montrer.
Il faut aussi savoir dire merci, se montrer reconnaissant des initiatives que ses employées peuvent avoir. Il faut les féliciter quand ils le méritent mais aussi les valoriser auprès des clients. Je ne suis pas du genre à garder les lauriers pour moi quand les clients expriment leur contentement.
D’accord, c’est moi la titulaire qui pilote le bateau. Mais je n’oublie pas que je ne rame pas tous les jours. Sans mon équipe, je ne ferais pas grand chose. Il est donc important de le dire aux clients. En parallèle, il ne faut jamais hésiter à partager les remerciements des clients avec son équipe. C’est tout bête mais ça booste les équipes. Il y a peu, j’ai reçu une superbe carte d’une de nos clientes, actuellement en chimiothérapie. Elle tenait à nous remercier après avoir gagné un lot à la loterie de Noël organisée par mes équipes. Elle nous a ainsi écrit quelques mots teintés d’humour qu’elle concluait en nous remerciant de notre bienveillance et de notre professionnalisme. Ce genre de message ne peut que se partager.
Enfin, un dernier point essentiel réside dans le respect. J’ai toujours placé cette valeur au cœur de mon travail, que ce soit devant ou derrière le comptoir. Cela fait partie du bien-être au travail selon moi. Il faut respecter les clients en leur apportant le conseil juste et toute l’écoute qu’ils méritent sans jamais oublier de leur demander la réciprocité.
Par exemple, quand une de mes salariés s’est faite agresser par un client qui n’a pas hésité à lui dire qu’elle « ne servait à rien », je n’ai pas hésité à monter au créneau. J’ai appelé le client pour lui signifier que ce n’était pas une façon de parler à mes collaborateurs. Si le titulaire accepte l’inacceptable et ne sait pas prendre la défense de ses salariés, il ne peut y avoir de bien-être au travail.
La crise de la Covid a-t-elle impacté votre management ?
Cette crise a accentué la charge mentale qui pèse sur les titulaires. Je me suis sentie encore plus responsable de mon équipe qu’à l’ordinaire. Il fallait faire avec le risque qu’ils tombent malade. J’ai tout fait pour leur assurer des conditions de sécurité maximales. Il était de mon devoir de les protéger. Dès les prémices de la crise, je n’ai pas hésité à réquisitionner masques et gel afin qu’ils travaillent dans les meilleures conditions possibles.
Je me suis démenée comme j’ai pu, guidée par l’idée qu’il est plus facile de traverser ce genre d’épreuve avec un titulaire débrouillard et volontaire. J’ai voulu leur faire sentir qu’on était dans le même bateau, que l’on se battait ensemble.
Nous avons dû aussi changer nos habitudes de travail pour éviter le chômage partiel que mes salariés ne pouvaient supporter financièrement. Très rapidement, j’ai été des plus transparentes possibles en leur expliquant ce qu’il fallait faire pour m’aider à maintenir les emplois : horaires allégés, poses de congés payés, etc.
Au final, cette crise aura renforcé notre esprit d’équipe. Et ma fierté de travailler avec mes collaborateurs qui ont toujours fait preuve d’un professionnalisme hors pair.
Ils ont compris, comme moi, que nous avions une occasion en or de jouer notre rôle de professionnel de santé, de nous montrer sous notre meilleur jour. Pour réussir, j’avais besoin d’eux et ils ont répondu présent. J’ai d’ailleurs tenu à les en remercier en leur octroyant une prime « covid ».
Moins conséquente que ce que j’aurai aimé, cette prime m’a permis de leur exprimer toute ma reconnaissance et ma fierté. Ils ont répondu présents et sont restés soudés tout au long de cette crise même lorsque j’ai moi-même été infectée par le virus. Je leur en suis reconnaissante car cette nouvelle a été source de bien des inquiétudes. Je ne disposais que de peu l’informations quant à mes obligations légales en tant que titulaire et employeur. J’avais peur à la fois de voir ma pharmacie fermée d’autorité et de contaminer mes collaborateurs. Je les ai appelés un à un à cette occasion et ils ont su faire montre de compréhension et de bienveillance, me rendant encore plus fière de travailler avec eux.